Les personnages : MercurePersonnage principal de ces dialogues, Mercure, équivalent romain du Hermès grec, est d’abord le « messager » des dieux, mais il est aussi le dieu du commerce, des voyages, de la communication, de l’éloquence… ainsi que de la ruse, du mensonge et des voleurs! Il faut savoir cependant que plusieurs commentateurs pensent que ce dieu ici descendu sur terre pour faire relier le livre de son père Jupiter pourrait également représenter Jésus-Christ, ce qui donnerait évidemment une toute Note complète, ByrphanesLe nom de Byrphanes est constitué de racines grecques formant « roux » et « feu »; on le traduit donc par « boutefeu », « celui qui allume le feu ». Comme son compagnon Curtalius, et comme en témoigne son comportement, ce personnage semble représenter les institutions de répression souvent violentes et dogmatiques de l'Église catholique de l'époque... comme en témoignera d'ailleurs le sort tragique de celui qui a publié le Cymbalum mundi. Note complète, CurtaliusComme Byrphanes, ce personnage paraît être un représentant des agences de répression catholique. Par le biais du Curtis de l'ancien français, Curtalius pourrait faire référence à la Curia parlamenti , c'est-à-dire au Parlement de Paris. Le président du Parlement, Pierre Lizet, jouera un rôle majeur dans les procédures qui ont mené à l'arrestation du libraire Jean Morin et à la condamnation du Cymbalum mundi à la suite de la requête du roi François Ier. Note complète, L’HôtesseIl est moins évident de déterminer à qui ou à quoi ce personnage fait référence, mais le fait que l'hôtesse s'occupe du service du vin et qu'elle refuse de croire les promesses de Mercure a permis à certains commentateurs de l'associer aux prêtres de l'Église catholique qui assurent le service de la messe sans vraiment prêter foi aux pouvoirs de Celui qu'ils prétendent servir. Note complète.
MERCURE
Il est bien vrai qu’il m’a commandé que je lui fasse relier ce livrePrécisons qu'à l'époque, on achetait les feuilles imprimées d'un livre qu'on faisait ensuite relier à sa guise chez un relieur. Notons aussi que ces allusions aux aspects matériels du livre ont lieu en ouverture d'un dialogue dans lequel le rôle et la fiabilité du livre (ou du Livre avec une majuscule) et de l'écriture (ou des Écritures) font l'objet d'un regard satirique. Note complète à neuf, mais je ne sais pas s’il le veut relié avec des planchettes de bois ou de papier. Il ne m’a pas dit s’il le veut couvert de veau ou de velours. Je ne sais pas non plus s’il souhaite que je le fasse dorer et que je fasse changer les fers et les clous selon la mode actuelle. J’ai très peur que le livre ne soit pas relié à son goût. Il me met tant de pression et me donne tant de choses à faire d’un coup que j’en oublie l’une pour l’autre!
En plus, VénusDéesse de l'amour, Vénus (Aphrodite chez les Grecs) joue un rôle important dans ce livre, tout particulièrement au troisième dialogue dont elle est manifestement la divinité tutélaire. Note complète m’a commandé de dire je ne sais plus quoi aux jeunes femmes de Chypre au sujet de leur beau teint. Et JunonÉpouse (et sœur!) de Jupiter (comme Héra l'est de Zeus chez les Grecs), Junon est la reine des dieux. Elle symbolise la vie matrimoniale et l'amour conjugal (auquel son mari volage n'est pas toujours très fidèle). Note complète m’a chargé en passant de lui apporter quelque dorure, collier ou ceinture à la mode nouvelle, si j’en trouve là-bas. Et je sais bien que PallasPallas Athéna est une déesse grecque appelée Minerve dans la mythologie romaine (elle est appelée ainsi au troisième dialogue). Elle est la déesse des arts, des lettres, de la musique, de la philosophie, mais aussi de la guerre, de la stratégie et de l'industrie. Pallas est la déesse tutélaire d'Athènes comme Minerve l'est de Rome. Note complète me demandera si les poètes ont fait quelque chose de nouveau. Puis il me faut emmener à CharonDans la mythologie grecque, Charon est le nocher, c'est-à-dire celui qui prenait les âmes des morts dans sa barque pour traverser le fleuve infernal du Styx et les emmener aux Enfers. Note complète 37 âmes de coquins qui sont morts de langueurEn moyen français, la langueur peut désigner un "état d'affaiblissement et d'abattement dû à la tristesse, à la mélancolie, et particulièrement à la passion amoureuse". Note complète aujourd’hui dans les rues, 13 qui se sont entretués dans les cabarets, sans compter les 18 au bordel, ainsi que les 8 petits enfants que les vestalesDans la religion romaine, les vestales sont les prêtresses qui entretiennent le feu sacré de la déesse Vesta sauf que l'auteur semble utiliser le terme dans ces dialogues pour désigner les religieuses catholiques de son époque. Dans le premier dialogue, il évoque aussi le fait que les religieuses devaient parfois faire disparaître le fruit de leurs péchés si elles étaient tombées enceintes... Note complète ont étouffés et les 5 druidesComme pour les vestales, les druides ne font pas réellement référence ici à ces figures bien connues de la société celtique, mais plutôt aux prêtres de l'Église catholique possiblement condamnés à la folie ou au suicide à cause de leur vœu de chasteté. Note complète qui se sont laissés mourir de folie et de rage. Quand donc aurai-je fait toutes ces commissions?
Où relie-t-on le mieux? À AthènesPlusieurs indices laissent entendre que cette Athènes où prétend descendre Mercure au début du premier dialogue ressemble beaucoup à la ville de Lyon où a habité, pour un temps, l'auteur présumé de ce livre, Bonaventure Des Périers. À ce sujet, voir aussi la note sur le mot Dabas. Note complète, en Allemagne, à Venise ou à Rome? Il semble que c’est à Athènes. Il vaut mieux que j’y descende. Je passerai par la rue des OrfèvresIl y avait, au XVIe siècle, une rue des Orfèvres à Lyon, ville longtemps célèbre pour son orfèvrerie (particulièrement l'orfèvrerie religieuse). Note complète et la rue des MerciersLa rue Mercière à Lyon était connue comme la rue des marchands (de drap, de fourrures, des parchemins...), mais surtout, à partir du XVIe siècle, comme la rue des imprimeurs et des libraires. Note complète où je verrai s’il n’y a pas quelque chose pour ma dame Junon. Et puis, de là, je m’en irai chez les libraires chercher quelque chose de nouveau pour Pallas. Or, il importe surtout de m’assurer qu’on ne sache pas de quelle maison je suis, car, si les Athéniens ne surchargent les choses que deux fois ce qu’elles valent aux autres, ils voudraient me les vendre quatre fois le double du prix!
BYRPHANES
Que regardes-tu là mon compagnon?
CURTALIUS
Ce que je regarde? Je vois maintenant ce que j’ai tant de fois trouvé par écrit et que je ne pouvais croire.
BYRPHANES
Et que diable est-ce?
CURTALIUS
C’est Mercure, le messager des Dieux que j’ai vu descendre du ciel en terre!
BYRPHANES
Ô quelle rêverie… Il semble, pauvre homme, que tu as eu là un rêve éveillé. Viens, allons boire! Et ne pense plus à cette vaine illusion.
CURTALIUS
Par le corbieu, il n’y a rien de plus vrai, ce n’est pas une blague : il s’est posé là, et je crois qu’il passera tantôt par ici. Attendons un petit peu. Tiens, le vois-tu là?
BYRPHANES
Il n’en manque plus beaucoup pour que je croie ce que tu me dis vu que je le vois de mes propres yeux. Pardieu, voilà un homme accoutré comme les poètes nous décrivent Mercure! Je ne sais plus comment faire pour ne pas croireTout ce passage sur la fiabilité du témoignage visuel opposé au témoignage de l'écriture n'est pas innocent dans un dialogue où le livre de Jupiter (et donc la Bible?) constitue le thème central. L'opposition du témoignage des sens à l'autorité de l'écriture (ou des Écritures!) traverse tout le livre. N'oublions pas non plus que le soi-disant traducteur de ces dialogues s'appelle Thomas, l'apôtre qui refuse de croire à la résurrection du Christ même s'il Note complète que c’est bien lui.
CURTALIUS
Tais-toi. Voyons un peu ce qu’il adviendra. Il vient droit vers nous.
MERCURE
Dieu vous garde, compagnons. Vend-on du bon vin ici? Corbieu, j’ai une grande soif.
CURTALIUS
Monsieur, je pense qu’il n’y a pas de meilleur vin dans tout Athènes.
Et puis, monsieur, quelles sont les nouvellesL'intérêt pour les nouvelles revient à de nombreuses reprises dans les dialogues du Cymbalum mundi qui se moquent constamment de la curiosité des humains (et même de celle des dieux), de leur appétit insatiable pour les nouvelles, la nouveauté, l'inédit. Il n'est sans doute pas anodin non plus que Curtalius demande des nouvelles à Mercure, le messager des dieux et donc le porteur de nouvelles par excellence. Note complète?
MERCURE
Par mon âme, je n’en connais aucune. Je viens ici pour en apprendre.
Hôtesse! Faites venir du vin s’il vous plaît.
CURTALIUS (à Byrphanes)
Je t’assure que c’est Mercure et personne d’autre. Je le reconnais à son maintien. Et voilà quelque chose qu’il a apporté des cieux. Si nous valons quelque chose, nous découvrirons ce que c’est et le lui déroberons, tu peux me croire!
BYRPHANES
Ce serait pour nous une grande vertu et une gloire de voler non seulement un voleur, mais l’auteur de tous les volsN'oublions pas que Mercure est le dieu des voleurs (et du commerce!). Note complète, tel qu’il est!
CURTALIUS
Il laissera son paquet sur ce lit et s’en ira tantôt partout dans l’auberge pour voir s’il ne trouvera rien de laissé à découvert afin de s’en emparer et de le mettre dans sa poche. Pendant ce temps, nous verrons ce qu’il porte là.
BYRPHANES
Tu ne saurais mieux dire!
MERCURE
Le vin est-il arrivé? Compagnons, allons là dans cette pièce pour goûter ce vin.
CURTALIUS
Nous allions arrêter de boire. Toutefois, monsieur, nous serons contents de vous tenir compagnie et de boire encore avec vous.
MERCURE
Or, messieurs, en attendant que le vin arrive, je vais aller m’amuser un peu. Pendant ce temps, faites rincer des verres et apporter quelque chose à manger.
CURTALIUS (à Byrphanes)
Le vois-tu là, le coquin? Je connais ses façons de faire. Je veux qu’on me pende s’il revient avant d’avoir fouillé tous les recoins de l’auberge et fait main basse sur quelque chose de quelque façon que ce soit. Je t’assure bien qu’il ne reviendra pas de sitôt. Voyons pendant ce temps ce qu’il a ici et dérobons-le-lui aussi si nous le pouvons…
BYRPHANES
Dépêchons-nous donc pour qu’il ne nous prenne pas sur le fait.
CURTALIUS
Regarde ici, un livre.
BYRPHANES
Quel livre est-ce?
CURTALIUS (lit le titre en latin)
Ce livre contient :
- La chronique des choses mémorables accomplies par Jupiter avant même qu’il existe.
- Le registre des destins, c’est-à-dire le déroulement certain des événements à venir.
- Le catalogue des héros immortels qui auront une vie éternelle aux côtés de Jupiter.
VertubieuContraction et atténuation du juron « vertu de Dieu ». Note complète! Voici un beau livre, mon compagnon. Je crois qu’il ne s’en vend pas de semblable dans tout Athènes!
Sais-tu ce que nous ferons? Nous avons là un livre qui est du même volume et tout aussi grand. Va le chercher, puis mettons-le dans son sac au lieu de celui-ci et refermons le sac comme il était avant. Il ne s’en doutera jamais.
BYRPHANES
Par le corbieu, nous sommes riches : nous trouverons bien un libraire qui nous donnera dix mille écusL'écu est une pièce de monnaie française apparue au Moyen Âge, une autre indication que ce dialogue ne se déroule pas à Athènes. Note complète la copie! C’est le livre de Jupiter que Mercure est venu faire relier, je pense, car il tombe tout en morceaux de vieillesse.
Tiens, voilà ce livre dont tu parlais qui ne vaut guère mieux. Je te jure qu’à les voir, il n’y a pas une grande différence entre l’un et l’autre.
CURTALIUS
Voilà qui va bien. Le paquet est tout pareil comme il était. Il ne s’apercevra de rien.
MERCURE (de retour)
Allons, buvons compagnons! Je viens de visiter le présent logis qui me semble bien beau.
BYRPHANES
Le logis est beau, monsieur, pour ce qu’il contient.
MERCURE
Et puis, que dit-on de nouveau?
CURTALIUS
Nous n’en savons rien, monsieur, à moins d’en apprendre de vous.
MERCURE
Bien, je bois à vous, messieurs.
BYRPHANES
Monsieur, soyez très bienvenu. Nous allons vous imiter.
MERCURE
Quel est ce vin?
CURTALIUS
Un vin de BeauneSitué dans la Côte-d'Or, Beaune est considéré encore aujourd'hui comme la capitale des vins de Bourgogne. Cette référence conforte l'hypothèse que ces dialogues se situent plus vraisemblablement à Lyon qu'à Athènes! Note complète.
MERCURE
Vin de Beaune? Corbieu, Jupiter ne boit pas de meilleur nectarLe nectar est la boisson des dieux dans la mythologie grecque. Tout ce passage sur le vin et le débat violent qu'il suscite paraît faire allusion aux débats féroces entre catholiques et protestants à l'époque sur la transubstantiation et la consubstantiation, c'est-à-dire sur la signification (concrète ou plus symbolique) que l'on devait donner à l'Eucharistie dans les rituels chrétiens. Le vin devient-il vraiment le sang du Christ (transubstantiation) ou est-il seulement « coprésent » Note complète!
BYRPHANES
Le vin est bon, mais il ne faut pas comparer le vin de ce monde au nectar de Jupiter.
MERCURE
Je renybieuContraction et déformation du juron « Je renie Dieu », une expression qui devient évidemment lourde de sens si Mercure représente ici Jésus-Christ! Note complète, Jupiter ne se fait point servir de meilleur nectar.
CURTALIUS
Faites bien attention à ce que vous dites, car vous blasphémez grandement. Et je dis que vous n’êtes pas homme de bien si vous voulez soutenir cela, par le sambieuSambieu est une déformation de l'expression sandieu (« Sang de Dieu »). Ce juron prend un sens particulier quand Curtalius l'utilise au premier dialogue durant un débat avec Mercure sur la différence entre le vin des humains et le nectar des dieux qui fait manifestement référence aux controverses violentes de l'époque sur la signification du rituel de l'Eucharistie. Note complète!
MERCURE
Mon ami, ne vous mettez pas tant en colère : j’ai goûté aux deux et je vous dis que celui-ci vaut mieux…
CURTALIUS
Monsieur, je ne me mets pas en colère et je n’ai pas non plus bu de nectar comme vous dites avoir fait, mais nous croyons ce qu’il en est écrit et ce que l’on en dit. Vous ne devez pas comparer un vin quelconque issu de ce monde au nectar de Jupiter : vous ne seriez pas soutenu en cette cause!
MERCURE
Je ne sais comment vous le croyez, mais il en est ainsi, comme je vous le dis.
CURTALIUS
Je puisse mourir de mal mortLa « mal mort » (ou malemort) est une mort tragique, violente (par opposition à une mort « naturelle »). Note complète, Monsieur (et pardonnez-moi s’il vous plaît), mais si vous voulez maintenir cette opinion, je vous ferai mettre dans un lieu où vous ne verrez pas vos piedsCurtalius menace ici d'emprisonner Mercure dans un sombre cachot. Note complète pendant trois mois tant pour cela que pour quelque chose d’autre que vous ne pensez pas que je sais!
(À Byrphanes : Écoute mon compagnon, il a dérobé je ne sais quoi là-haut dans la chambre, par le corbieu, il n’y a rien de plus vrai!)
Je ne sais qui vous êtes, mais ce n’est pas bien pour vous de tenir de tels propos. Vous pourriez bien vous en repentir, ainsi que d’une autre chose que vous avez faite il n’y a pas longtemps. Sortez d’ici rapidement, par la morbieuMorbieu est un juron typique du moyen français où Dieu se voit remplacé par bieu, bleu, beu... Il s'agit donc d'une déformation et d'une atténuation de l'expression plus sacrilège mordieu (« Mort de Dieu »). Note complète, car si je sors en premier, ce sera à vos dépens! Je vous amènerai des gensOn voit bien dans ce passage que Byrphanes et Curtalius sont associés aux instances de répression catholiques qui utilisaient des méthodes de torture (ou de mise à mort) plutôt violentes à l'époque. Le libraire et imprimeur de l'édition parisienne du Cymbalum mundi, Jean Morin, lui, après avoir échappé au bûcher (contrairement à son associé Jean De La Garde) sera condamné à une peine plus clémente : il doit être mené devant l'église Notre-Dame-de Paris pour Note complète de telle nature qu’il vaudrait mieux que vous ayez eu affaire à tous les diables de l’enfer qu’au moindre d’entre eux…
BYRPHANES
Monsieur, il dit vrai : vous ne devez pas ainsi vilainement blasphémer. Et, faites attention, vous pouvez vous fier à mon compagnon. Par le corbieu, il ne vous promet rien qu’il ne fera pas si vous lui échauffez un peu le poil!
MERCURE
C’est pitoyable d’avoir affaire aux hommes. Que le grand diable ait part à l’heure où mon père Jupiter me donna la tâche de trafiquer et de converser avec les humains!
Hôtesse, tenez, payez-vous. Prenez-là ce qu’il vous faut.
Eh bien, êtes-vous contente?
L’HÔTESSE
Oui, monsieur.
MERCURE
Madame, venez que je vous dise un mot à l’oreille, s’il vous plaît. Savez-vous comment s’appellent les deux compagnons qui ont bu avec moi là-bas?
L’HÔTESSE
L’un s’appelle Byrphanes et l’autre, Curtalius.
MERCURE
C’est assez. À Dieu, madame! Mais, pour le plaisir que vous m’avez fait tant de m’avoir donné du si bon vin que de m’avoir dit le nom de ces méchants, je vous promets et assure que votre vie sera allongée de cinquante ans, en bonne santé et joyeuse liberté, bien au-delà de l’institution et de l’ordonnance de mes cousines, les DestinéesLes Destinées (appelées Moires dans la mythologie grecque et Parques dans la mythologie romaine) sont les trois divinités qui décident, comme on s'en doutera, du destin de tout un chacun. Note complète.
L’HÔTESSE
Vous me promettez des merveilles, monsieur, pour un rien. Mais je ne peux le croire parce que je suis bien sûre que cela ne pourrait jamais advenir. Je crois que vous le voudriez bien, et moi aussi, car je serais bien heureuse de vivre si longuement en cet état que vous me dites. Mais il n’en sera rien pourtant.
MERCURE
C’est ce que vous dites? Ah! Vous en riez et vous vous en moquez? Non, vous ne vivrez vraiment pas tant alors et vous serez toute la durée de votre vie en servitude et malade toutes les lunesMercure condamne cette serveuse à être en servitude et à avoir... des menstruations, ce qui laisse entendre que ce dieu n'a peut-être pas tant de pouvoir. Note complète jusqu’au sang! Or, je vois bien que la méchanceté des femmes dépassera celle des hommes. Certainement, il n’en sera rien puisque vous n’avez pas voulu me croire. Vous n’aurez jamais d’autre hôte (quelque plaisir que vous lui ayez fait) qui vous paie de si riches promesses!
Voilà de dangereux brigands. TudieuAbréviation du juron « Par la vertu de Dieu ». Note complète, je n’ai jamais eu une plus grande peur, car je crois qu’ils m’ont bien vu prendre cette petite image d’argentIl n'est pas évident de déterminer à quoi fait allusion cette « image d'argent » trouvée par Mercure sur un buffet mais, étant donné le contexte du dialogue qui parle de service du vin et qui semble faire allusion à l'Eucharistie, il pourrait s'agir d'un objet d'orfèvrerie religieuse qui se trouve sur un autel : rappelons aussi que Mercure a dit au début de ce dialogue qu'il devait aller chercher quelque chose sur la Note complète qui était sur le buffet en haut et que j’ai dérobée pour en faire présent à mon cousin GanymèdeDans la mythologie grecque, Ganymède est un mortel connu pour sa beauté. Enlevé par Zeus qui en fait son amant, il devient l'échanson des dieux, c'est-à-dire celui qui fait le service des boissons et donc du nectar des dieux. Note complète qui me donne toujours ce qui reste dans la coupe de Jupiter après qu’il a pris son nectar. C’était ce dont ils parlaient ensemble. S’ils m’avaient pris une seule fois, j’aurais été déshonoré, moi et toute ma lignée céleste! Mais si jamais ils me tombent entre les mains, je recommanderai à Charon qu’il les fasse un peu attendre sur le rivage du fleuve de l’enfer et qu’il ne les fasse pas passer avant trois mille ans. Et je vous jouerai encore un bon tour, messieurs Byrphanes et Curtalius, car, avant de rendre le livre d’immortalité – que je vais faire relier – à mon père Jupiter, j’en effacerai vos beaux noms si je les y trouve écrits ainsi que celui de votre belle hôtesse qui est si dédaigneuse qu’elle ne veut pas croire ni accepter qu’on lui fasse du bien.
CURTALIUS
Par mon âme, nous lui en avons bien fait croire! C’est ainsi qu’il fallait procéder, Byrphanes, afin de lui faire vider les lieux. C’est Mercure lui-même sans aucun doute.
BYRPHANES
C’est lui, personne d’autre, vraiment! Voilà le plus heureux vol qui a jamais été fait, car nous avons dérobé le prince et patron des voleurs, ce qui est un acte digne de mémoire immortelle, et nous sommes entrés en possession d’un livre dont il n’y a point de semblable au monde!
CURTALIUS
La supercherie est bonne, vu qu’au lieu de son livre, nous lui en avons mis un qui parle de bien d’autres matières… Je ne crains qu’une chose : c’est que, si Jupiter le voit et qu’il trouve son livre perdu, il foudroie et abîme tout ce pauvre monde ici – qui n’a rien à y voir – pour la punition de notre forfait. Il ne s’en faudrait pas de beaucoup, car il est assez tempétueux quand il s’y met. Mais je te dirai ce que nous ferons : étant donné que je pense qu’il n’y a rien qui est contenu dans ce livre qui ne se réalise et qu’il n’y a rien qui se réalise qui n’y est contenu, nous regarderons si notre vol n’y est pas prédit et pronostiquéMercure reviendra plus tard sur le paradoxe de ce livre qui aurait dû prévoir qu'il serait lui-même volé! Il y a aussi une possible allusion ici aux très populaires pronostications que publiaient les astrologues et divers charlatans à l'époque, un genre de publication dont s'est moqué (comme Rabelais!) l'auteur probable de ces dialogues, Bonaventure Des Périers, en en publiant une parodie la même année que le Cymbalum mundi: La prognostication des prognostications non seulement de Note complète, et s’il ne dit pas que nous le rendrons un jour, afin que nous soyons plus assurés du fait.
BYRPHANES
Si notre vol y est, nous le trouverons en cet endroit dont le titre est Faits et événements de l’année…
CURTALIUS
Attention! Cache ce livre, car j’entends ArdelioAprès sa brève apparition à la fin du premier dialogue, Ardelio revient plus longuement à la fin du troisième dialogue. On trouve le mot « ardalio » chez le poète romain Martial pour désigner quelqu'un qui se mêle de tout. Le mot en latin peut désigner un personnage « brouillon », un « faiseur d'embarras » (Gaffiot, Dictionnaire latin-français abrégé). Et ce personnage comique semble effectivement jouer le rôle du « curieux » trouble-fête et opportuniste. Note complète qui vient et qui voudrait le voir.
Nous le regarderons plus longuement une autre fois tout à loisir.