LE LIVRE
Deux éditions du Cymbalum mundi sont parues au 16e siècle… avant que le livre soit supprimé à la suite des procédures initiées par l’intervention du roi François Ier :
Anonyme. Cymbalum mundi en françoys, Contenant quatre Dialogues Poetiques, fort antiques, ioyeux, & facetieux, Paris, Jean Morin, 1537.
Un seul exemplaire de cette édition parisienne a survécu. Il est conservé précieusement dans le Fonds Goujet à la Bibliothèque municipale de Versailles. On peut trouver une édition encodée par nos soins de cette édition dans la base Epistemon des Bibliothèques virtuelles humanistes à l’Université de Tours, et il existe également un fac-similé imprimé réalisé en 1914 par Pierre-Paul Plan qui a été numérisé dans Gallica.
L’histoire de cet exemplaire demeure mystérieuse. On n’en trouve aucune trace entre la suppression du livre par la censure en 1538 et le début du 18e siècle, alors qu’il réapparaît soudainement (entre 1711 et 1732). On a parfois cru que cet exemplaire unique au monde avait été reconstitué à partir de deux exemplaires distincts parce qu’il comporte deux pages de titre gravées (dont une, la deuxième, est collée sur une autre page) et parce que la dernière page est composée de deux parties de pages collées sur un feuillet blanc plus récent.
La dernière page du texte de l’unicum de Versailles
Mais les recherches ont permis d’écarter cette hypothèse du fait notamment que le premier frontispice est en fait un fac-similé (fabriqué sans doute vers 1873), tandis que l’état de la dernière page s’expliquerait par une restauration. Que les première et dernière pages aient pu être abîmées pourrait s’expliquer par le fait qu’il s’agissait de l’exemplaire qui a servi dans la procédure de censure du Parlement de Paris, exemplaire qui serait resté dans un sac de pièces jusqu’à la parution de l’édition de 1711. On sait en effet que cette dernière édition a été faite par Prosper Marchand à partir du texte de l’édition lyonnaise de 1538, alors que l’édition de 1732 du même Marchand a été faite cette fois à partir de l’édition parisienne de 1537 qui semble donc être revenue à la surface entre-temps. Quelqu’un aurait-il été motivé à aller chercher l’exemplaire de la première édition (à la Conciergerie de Paris?) après la publication du Cymbalum en 1711?
Le plus ancien possesseur connu de cet exemplaire est l’abbé d’Orléans de Rothelin. Il serait ensuite passé dans les mains de l’érudit Claude Gros de Boze, puis du duc de La Vallière (qui l’aurait acheté à la vente de M. Gaignat), avant d’aboutir dans la collection privée du roi Louis XVI. Après la Révolution, le livre se retrouvera dans un des dépôts littéraires de livres saisis (le dépôt C où le Cymbalum Mundi est référencé au numéro 1772). C’est ainsi que cet exemplaire unique du Cymbalum mundi se serait retrouvé dans le Fonds Goujet (qui contient en fait peu de livres de l’abbé Goujet) de la Bibliothèque municipale de Versailles.
NOTE: On trouve aussi une copie manuscrite de la supplique du libraire Jean Morin (alors emprisonné) sur les pages de garde à l’arrière de cet exemplaire (voir la section Censure pour en apprendre plus sur cette lettre de Morin).
Anonyme. Cymbalum mundi en françoys contenant quatre Dialogues Poetiques, fort antiques, ioeux (sic) & facétieux, Lyon, Benoist Bonnyn, 1538.
Deux exemplaires de cette édition lyonnaise de 1538 se sont rendus jusqu’à nous : le premier (ici représenté) est conservé à la Réserve de la Bibliothèque nationale de France (et peut-être consulté en fac-similé numérique dans Gallica), tandis que le second se trouve à la bibliothèque du Musée Condé au Château de Chantilly et n’a pas encore été numérisé.
Le texte de cette édition lyonnaise comporte un certain nombre de variantes par rapport à l’édition de 1537, mais elles demeurent assez mineures dans l’ensemble. La principale différence réside dans la gravure de la page titre, qui représente ici un poète plutôt que la probité (même si la maxime de Juvénal sur la probité qui grelotte est tout de même présente sous l’image). Précisons aussi que le texte est imprimé avec des caractères typographiques dits “bâtards” plutôt qu’en caractères romains comme l’édition parisienne. L’exemplaire de la BnF possède aussi des annotations manuscrites intéressantes, dont deux sur la page couverture (de la main, semble-t-il, du mémorialiste Pierre de L’Estoile ou encore de son fils) qui se lisent ainsi: “L’aucteur Bonaventure Des Periers, homme meschant et athee, comme il appert par ce detestable livre.” et “Telle vie, telle fin, averée par la mort de ce misérable indigne de porter le nom d’homme.” Cette dernière annotation fait apparemment référence à la (vraisemblablement fausse) affirmation d’Henri Estienne selon laquelle Des Périers se serait suicidé. L’exemplaire, très bien conservé, du musée Condé ne possède pas d’annotations, mais il a l’intérêt d’avoir appartenu, entre autres, à l’écrivain Charles Nodier qui s’est passionné pour cet ouvrage et son auteur Bonaventure Des Périers qu’il a placé place aux côtés de Rabelais et de Marot dans une élogieuse notice où il le décrit comme “le talent le plus naïf, le plus original et le plus piquant de son époque”.
Charles Nodier (1780-1844) par Paulin Guérin,
Musée national du Château de Versailles
Plusieurs énigmes entourent la publication de ces deux éditions. Pourquoi, par exemple, seul le libraire parisien, Jean Morin, a-t-il été inquiété par les autorités? Pourquoi l’éditeur lyonnais, Benoist Bonnyn, n’a-t-il pas été inquiété? Pourquoi ce dernier aurait-il même pris le risque de publier un livre qui faisait l’objet de telles démarches judiciaires? Il n’existe pas de réponse certaine à ces questions, et plusieurs hypothèses ont circulé (et circulent toujours!). Voir notre section sur la censure du livre pour en savoir plus à ce sujet…
Et, pour plus de détails sur les exemplaires qui ont survécu à la censure, voir notamment :