L’AUTEUR
Le fait que ce livre ait été publié anonymement pourrait paraître révélateur en soi. Cela signifie-t-il pour autant que l’auteur craignait les représailles des autorités à cause de son contenu dangereux? On ne peut en être sûr : plusieurs livres sont publiés sans nom d’auteur (ou sous pseudonyme) à la Renaissance (alors que n’existait pas de droits d’auteur) et nombre de raisons peuvent motiver un tel choix. Il n’en demeure pas moins que le contenu satirique de ces dialogues – qui s’attaquent assez ouvertement au protestantisme (dans le Dialogue II) et plus subtilement aux autorités catholiques (dans le Dialogue I), ainsi qu’à d’autres cibles moins immédiatement apparentes (mais qui pourraient inclure des contemporains identifiables… incluant peut-être même le roi!) – aurait pu motiver l’auteur à vouloir se faire très discret… Le livre a d’ailleurs été censuré très rapidement (voir la section Censure à ce sujet).
La très vaste majorité des commentateurs s’accorde pour attribuer ce livre à Bonaventure Des Périers, un auteur qui a peu publié de son vivant, mais qui était connu comme poète, traducteur (de Platon notamment dont il a traduit le Lysis), éditeur (il a travaillé sur la première Bible complète en français traduite à partir de l’hébreu et du grec, la Bible dite d’Olivétan, ainsi que sur les Commentaires sur la langue latine de son contemporain Étienne Dolet). Il est aussi connu comme « valet de chambre », c’est-à-dire secrétaire, de Marguerite de Navarre à partir de 1536. Né vers 1510 en Bourgogne (à Arnay-le-Duc), il aurait étudié au Collège d’Autun (où il sera formé en grec et en latin par un recteur à la réputation libertine, Robert Hurault). Hormis ses poésies (à la manière de Clément Marot), il demeure surtout célèbre pour des oeuvres qui lui ont été attribuées après sa mort : le présent Cymbalum mundi et un amusant recueil de nouvelles publié seulement en 1561, Les nouvelles récréations et joyeux devis. Il serait mort jeune, en 1543 ou 1544, si on se fie au recueil posthume de ses écrits publié par son ami, Antoine du Moulin, le Recueil des oeuvres de feu Bonaventure des Périers (Jean de Tournes, Lyon, 1544) qui ne contient ni le Cymbalum ni les nouvelles. Un auteur et imprimeur protestant, Henri Estienne, a prétendu plus de vingt ans plus tard, qu’il s’était suicidé en se jetant sur son épée sauf que cette histoire (inspirée possiblement d’une nouvelle du recueil Des Périers où un personnage se suicide ainsi) paraît motivée surtout par le fait que cet auteur protestant devait être choqué par la satire de la Réforme qu’on trouve dans le Cymbalum mundi. Dans la lettre-préface de son recueil de 1544 adressée à Marguerite de Navarre, Antoine du Moulin évoque plutôt une « mort implacable » qui aurait « surpris » son ami Des Périers en plein travail sur ses « compositions » qu’il voulait dédier à la reine.
Le Recueil des oeuvres de feu Bonaventure des Périers
publié à Lyon en 1544 par son ami Antoine du Moulin
Henri Estienne reste tout de même le premier à affirmer explicitement, dans le texte évoqué précédemment (Apologie pour Hérodote, 1566), que Bonaventure Des Périers est « l’auteur du détestable livre intitulé Cymbalum mundi ». Cette attribution survenue seulement 29 ans après la publication du livre pourrait paraître discutable sauf que d’autres éléments pointent en direction de Des Périers :
- dès 1538, une lettre d’André Zébédée (un professeur protestant) place l’auteur du Cymbalum parmi les « granz espritz » tirant la France « à l’enseigne d’Epicure » et, bien qu’il ne mentionne pas le nom dudit auteur, il précise qu’il a travaillé à l’édition de la Bible en français d’Olivétan (ce qui fut effectivement le cas de Des Périers);
- en 1543, Guillaume Postel mentionne le Cymbalum comme une « profession publique » d’impiété aux côtés notamment du Pantagruel de Rabelais;
- en 1550, dans son Traité des Scandales, le célèbre réformateur Calvin situe Des Périers (avec Rabelais encore) parmi ceux qui ont « goûté de l’Évangile » avant d’être frappés du « même aveuglement » que ceux qui, comme Étienne Dolet écrit-il, ont ensuite toujours orgueilleusement condamné l’Évangile;
- en 1550 encore, un des disciples de Calvin, Guillaume Farel, situe aussi le « très méchant Des Périers » entre les « libertins » et les « athéistes ».
Portrait de Jean Calvin jeune (école flamande)
Étant donné que Bonaventure Des Périers n’a publié aucun autre texte qui aurait pu lui mériter des accusations aussi graves, il paraît vraisemblable qu’il soit bel et bien l’auteur du Cymbalum mundi comme l’affirmera explicitement Henri Estienne quelques années plus tard. Le premier bibliographe de la littérature française, La Croix du Maine, lui attribue d’ailleurs l’ouvrage dans le premier volume de sa Bibliothèque (1584). Et cette attribution n’a jamais été sérieusement contestée par la suite, du moins avant la fin du 20e siècle, et ce, seulement par un commentateur isolé , dont l’argumentaire paraît discutable.
Bref, jusqu’à preuve du contraire, on peut croire que Bonaventure Des Périers est bel et bien l’auteur du Cymbalum mundi.
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