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Thomas du Clevier à son ami Pierre Tryocan, Salut.

 

Il y a environ huit ans, cher ami, que je t’ai promis de te traduire en français le petit traité que je t’avais montré : le Cymbalum mundi, contenant quatre dialogues poétiques, que j’ai trouvé dans une vieille bibliothèque d’un monastère qui est près de la cité de Dabas. J’ai tant eu à faire de mes journées que je me suis acquitté de cette promesse du mieux que j’ai pu.

Si je ne te l’ai pas traduit mot à mot du latin, tu dois comprendre que je l’ai fait exprès afin de suivre, le plus qu’il me serait possible, les façons de parler qui sont en notre langue française. Tu t’en rendras facilement compte à la forme des jurons qui s’y trouvent : pour Me Hercule, Per Jovem, Dispeream, Aedepol, Per Styga, Pro Jupiter et autres semblables jurons latins, j’ai mis ceux dont usent nos bons gaillards, à savoir Morbieu, Sambieu, Je puisse mourir… pour mieux traduire et représenter l’émotion de celui qui parle plutôt que ses propres paroles.

Semblablement, j’ai mis vin de Beaune pour vin de Phalerne afin qu’il te semble plus familier et intelligible. J’ai aussi voulu relier Proteus à notre maître Gonin pour mieux te faire comprendre qui est ce Protée. Quant aux chansons que chante Cupidon au troisième dialogue, il y avait dans le texte original des vers lyriques d’amourettes à la place desquels j’ai mieux aimé mettre des chansons de notre temps vu qu’elles seraient autant à propos que les vers lyriques latins qui, si je les avais traduits, n’auraient pas eu tant de grâce selon moi.

Or, je t’envoie le texte tel qu’il est, mais à la condition que tu te retiennes d’en donner une copie à qui que ce soit afin qu’elle ne tombe pas entre les mains de ceux qui se mêlent de l’imprimerie, cet art qui a su apporter plusieurs commodités aux lettres jadis, mais qui – parce qu’il est maintenant trop commun – fait que ce qui est imprimé n’a plus autant de grâce et est moins estimé que s’il était demeuré en sa simple écriture, et ce, même si l’impression paraît nette et bien correcte. Je t’enverrai plusieurs autres bonnes choses si j’apprends que tu n’as pas trouvé celle-ci trop mauvaise.

À Dieu que je prie, mon cher ami, de te tenir en sa grâce et de te donner ce que ton petit cœur désire.

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