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Du Cymbalum mundi à La Cymbale du monde

S

i, comme le dit l’expression italienne, on ne peut que trahir en traduisant (traduttore, traditore!), vouloir « traduire » un texte dans une même langue paraîtra sans aucun doute encore plus condamnable étant donné qu’on trahirait alors sa propre langue. Pourquoi en effet modifier un texte déjà écrit en français?

La raison en est bien simple. Le fait que ce petit chef-d’œuvre soit très peu connu en dehors des cercles de spécialistes (chez qui il jouit d’une grande réputation) tient en grande partie, croyons-nous, aux particularités du français de la première moitié du 16e siècle qui en ont rendu l’abord difficile dans les éditions présentement disponibles (à une exception près (1)).

Notre objectif consiste donc tout bêtement à rendre ce texte joyeusement malicieux de la Renaissance plus accessible à un public contemporain dans une version en français moderne conçue pour le Web. Il s’agit donc moins d’une traduction que d’une  « translation » au sens que Guy Demerson a donné à sa modernisation (bien plus ambitieuse) du texte de Rabelais il y a quelques décennies déjà. Rappelons que le mot « translation » était utilisé encore en moyen français au sens de « traduction » (l’anglais nous a d’ailleurs dérobé le mot… sans le traduire). Dans son sens géométrique ou astronomique en français d’aujourd’hui, le mot « translation » conserve cependant le sens d’un déplacement… semblable à celui que nous souhaitons faire subir au Cymbalum mundi en le transférant à la fois dans le temps de la langue française et dans l’espace de la publication papier à celui du numérique.

Nous tenterons bien sûr de rester le plus fidèle possible au texte d’origine de l’édition parisienne de 1537 – que nous avons également rendu disponible en format numérique « encodé » dans la collection Epistemon des Bibliothèques virtuelles humanistes à Tours (voir les liens vers ce texte source dans les menus ci-haut) –, mais toujours avec cette idée de rendre le texte plus accessible à un public de non-spécialistes.

Ironiquement, le Cymbalum mundi se présente lui-même comme une traduction. Son préfacier, Thomas du Clevier, prétend en effet avoir découvert un manuscrit original en latin dans la bibliothèque d’un monastère. Il le traduit pour son ami, Pierre Tryocan. Ce préfacier fictif prétend ne pas avoir traduit « mot à mot » le texte latin « afin de suivre, le plus qu’il [lui] serait possible, les façons de parler qui sont en notre langue française ». En ce qui concerne, par exemple, les jurons latins, il dit avoir choisi de les remplacer par des jurons français qui lui sont contemporains « comme voulant plus tost translater & interpreter l’affection de celuy qui parle, que ses propres parolles » (c’est-à-dire , plus ou moins, « pour mieux traduire et représenter l’émotion de celui qui parle plutôt que ses propres paroles »).

Nous avons tenté, nous aussi, de traduire l’esprit plus que la lettre de ces dialogues même si, partout où cela nous paraissait possible, nous avons conservé le texte original tel quel. Ainsi, à l’inverse de Thomas du Clevier, nous avons choisi de conserver les jurons du 16e siècle – en les annotant – plutôt que de leur trouver des équivalents modernes, et ce, afin de donner à la langue de cette adaptation une saveur qui évoquerait mieux le moyen français.

Ailleurs cependant, nous avons choisi de moderniser le texte de façon plus radicale. L’orthographe a été entièrement modernisée. Le vocabulaire aussi a été actualisé partout où cela nous semblait nécessaire ou utile pour favoriser la compréhension (lorsqu’il s’agissait, par exemple, de mots qui ne sont plus en usage, qui n’ont plus le même sens aujourd’hui ou qui sont devenus trop rares). Nous avons aussi ajouté les accents selon les règles du français moderne et modifié la ponctuation (pas encore fixée à cette date) pour rendre le texte plus lisible. Nous nous sommes même permis de modifier la syntaxe de certaines phrases lorsque le texte d’origine paraissait alambiqué et difficile à comprendre pour un lecteur moderne (phrases trop longues, constructions et inversions syntaxiques inhabituelles, doubles négations devenues obscures, etc.). Enfin, au risque d’être accusé de céder à la simplification du français moderne, nous avons même choisi de remplacer les verbes au passé simple par leur équivalent au passé composé et les subjonctifs imparfaits (qui paraîtraient empruntés aujourd’hui), par des subjonctifs présents, et ce, non seulement pour rendre le texte plus accessible, mais afin aussi de rendre plus crédible la supposée oralité de ces « dialogues ».

Cette adaptation en français moderne de La cymbale du monde (la traduction du titre constitue déjà une trahison en soi!) a été testée sur un certain nombre d’ami.e.s lectrices et lecteurs ainsi que dans une classe d’étudiant.e.s de niveau collégial au Québec. Elle demeure cependant éminemment perfectible. Il est possible que nous soyons allé trop – ou pas assez? – loin dans notre modernisation du texte. Peut-être avons-nous sacrifié certaines subtilités de sens ou même commis des contresens? L’avantage d’une publication numérique est qu’elle pourra continuer à être modifiée et améliorée au fil du temps. Nous restons donc ouverts à tous vos commentaires et suggestions.

L’important demeure que ce petit livre merveilleux, provocateur, jouissif et étrangement actuel devienne plus connu des amoureux de la littérature et de l’esprit.

Bonne lecture!

Jean-François Vallée

(1) Il existait déjà une adaptation moderne du Cymbalum mundi réalisée par Laurent Calvié en 2002 pour un éditeur du Sud de la France (Anacharsis), mais cette édition, aujourd’hui épuisée dans sa version papier, semble avoir relativement peu circulé. Elle demeure cependant toujours accessible sous forme de livre électronique.
Nous avons volontairement choisi de ne pas nous inspirer de cette adaptation de manière, d’abord, à ne pas être accusé de l’avoir plagiée et aussi pour ne pas être influencé dans notre propre effort de modernisation du texte qui paraîtra à la fois plus et moins radicale.
Pour ne donner qu’un exemple, on notera que, là où l’auteur de la première adaptation modernise les jurons, nous avons choisi de les conserver tels quels (avec des annotations). En revanche, là où nous prenons le risque (discutable?) de moderniser les temps de verbe, Laurent Calvié choisit plutôt de les conserver dans leur forme initiale. Aucune solution, aucune trahison ne paraîtra parfaite. Nous laissons au lecteur, à la lectrice le soin de juger quelle adaptation est préférable. Avec un peu de chance, il ou elle sera ensuite tentée.e d’aller lire le texte original qui demeure évidemment le texte de référence.

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